Le groupe hip-hop palestinien, DAM, sensibilise à la question des crimes d’honneur à travers un nouveau clip vidéo
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« Avant d'être assassinée, elle n'était pas vivante. Nous raconterons son histoire à l'envers, depuis son meurtre jusqu'à sa naissance… ». Ainsi commence le texte arabe de la chanson rap, qui se mêle rapidement au triste refrain de la célèbre soliste palestinienne Amal Murkus.
Comme si l'on rembobinait une vidéo au ralenti, on voit une jeune femme sans expression, le visage sur un lit dans la forêt. Son corps se redresse en position debout. Une balle pénètre dans son front. Son frère appuie sur la gchette.
Ceci est la scène d'ouverture du nouveau clip vidéo Si je pouvais remonter le temps, l' un des titres du prochain album Dabke sur la lune du renommé groupe hip-hop palestinien, DAM (Da Arabian MCs). L'album sera lancé au niveau mondial cette semaine sur le site Internet d'ONU Femmes. Cette vidéo est le fruit d'une collaboration exclusive entre DAM et ONU Femmes, qui a appuyé et financé cette production de pointe visant à mobiliser les jeunes.
Utilisant des effets visuels accrocheurs et des textes remplis d'émotion, la vidéo a pour objectif de sensibiliser la jeunesse arabe sur ce qu'on appelle les « crimes d'honneur », les meurtres perpétrés au nom de l'honneur familial par des membres proches de la famille, généralement sur des femmes suspectées d'infidélité ou de relations prénuptiales, ou qui ne veulent pas se marier avec l'époux choisi par leur famille.
La vidéo raconte l'histoire d'une jeune fille arabe qui a vécu une vie de souffrances et qui décide de fuir la maison après que ses parents l'aient contrainte à un mariage arrangé. Mais ses projets sont contrecarrés lorsque sa mère, qui ne se doute de rien, reçoit un appel de la compagnie aérienne pour signaler le retard de son vol. Son père et son frère l'enferment dans le coffre de leur voiture, l'emmènent jusqu'à une forêt où l'exécutent d'une balle dans la tête.
« Sans honte, son frère remet son pistolet dans sa poche » continue la chanson, illustrée d'images et de textes parfois volontairement crus. « C'est la première fois de sa vie qu'elle dit NON ! ».
Les Nations Unies estiment que, dans le monde, 5 000 femmes et filles[1] sont assassinées et agressées chaque année par des proches de sexe masculin , pour s'être comportées de manière qu'ils considèrent comme dommageable pour la réputation de la famille. Entre 2007 et 2009, 29 femmes dans la bande de Gaza auraient été assassinées au nom de l'honneur[2], et au moins neuf autres cas ont déjà été signalés depuis le début 2012[3].
« Si je pouvais remonter le temps est la chronique d'une mort annoncée ; celle d'une jeune femme assassinée simplement parce qu'elle a ses propres aspirations pour sa vie » souligne Alia El-Yassir, Représentante spéciale du bureau d'ONU Femmes dans les Territoires palestiniens occupés.
« ONU Femmes considère que la mobilisation et l'engagement des jeunes, hommes comme femmes, est un élément déterminant pour provoquer des changements durables. Ils donnent l'occasion d'appuyer une nouvelle vague de défenseurs luttant contre la violence à l'égard des femmes, et d'intensifier les initiatives déployées par les organisations de femmes et de l'homme en vue de revendiquer la réforme des lois et des systèmes ».
Dans un contexte où de nombreux pays possèdent toujours des lois qui protègent les hommes assassinant les femmes de leurs familles, la vidéo, qui sera largement diffusée sur Internet et les réseaux de télévision dans toute la région des États arabes, vise à engager les jeunes à lutter contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Elle a également pour optique d'appuyer le travail réalisé par les défenseurs des femmes et les organisations des droits de l'homme en vue de réformer les lois qui appuient cette pratique.
La vidéo a été élaborée par la réalisatrice de documentaires plusieurs fois primée Jackie Salloum, et par Suhell Nafar du groupe DAM. Exclusivement masculin, DAM est l'un des groupes palestiniens de hip hop les plus populaires, et le tout premier à faire du rap en langue arabe.
« Lorsqu'une femme est assassinée, on voit cela comme la fin de l'histoire. Personne ne pose les bonnes questions. Personne ne tente de faire la lumière sur la dimension humaine de ce drame : il s'agit juste d'un décès de plus. Un décès seulement justifié par le fait d'être une fille » a souligné le membre du groupe Tamer Nafar au cours d'une conférence de presse organisée à Ramallah cette semaine, lors du lancement mondial.
« Nous avons écrit cette chanson car nous pensons que chacun doit avoir l'opportunité d'aller au bout de ses aspirations, et de rêver » a-t-il continué. « Aucune femme ne devrait se voir refuser cette opportunité et ce droit simplement parce qu'elle est née fille ! ».
« Félicitations, c'est une fille » : la vidéo nous renvoie au début de la vie de cette femme, et se termine par un message final poignant en arabe : « Liberté pour mes sœurs ».
[1] « Mettre fin à la violence à l'égard des femmes et des filles, »État de la population mondiale 2000 (New York: Fonds des Nations Unies pour la population, 2000), chap. 3.
[2] Centre féminin palestinien d'aide et de prise en charge juridique, Report on Femicide in the Name of Honour in Palestinian Society 2007-2010, 2010, p.8
[3] La Al Muntada Coalition - Forum to end violence against women, ainsi que la Commission indépendante palestinienne des droits de l'homme ont signalé 9 cas au cours des 9 premiers mois de 2012. La Al-Muntada Coalition a estimé que le chiffre total était de 12 femmes à la fin octobre.