Le Tadjikistan en passe d’adopter une loi sur la prévention de la violence domestique
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« J’ai été frappée par mon mari plusieurs fois ; c’est ce qui m’a décidée à le quitter » indique Humo Amonova*, une femme de 46 ans qui vit dans un petit village du district de Sughd Oblast, dans le nord du Tadjikistan. Mariée à l’âge de 20 ans, elle explique que sa vie a tourné au cauchemar à cause des violences physiques infligées par son mari.
« Ce moment a été difficile pour moi » souligne-t-elle. « Tout ce que je souhaitais, c’était de fuir loin de mon mari. Mais je pensais à mes enfants. Finalement, cette humiliation constante m’est devenue insupportable. J’ai donc décidé de prendre mes enfants avec moi et de quitter la maison ».
L’histoire d’Humo n’est pas rare dans cette nation d’Asie centrale qu’est le Tadjikistan. Ce pays n’est à l’heure actuelle doté d’aucune loi contre la violence à l’égard des femmes ou la violence domestique. En partie à cause de ce manque de protection juridique, de nombreuses femmes tadjikes n’ont pas le courage d’Humo, et demeurent dans des relations abusives.
Un nouveau projet de loi adopté par la Chambre basse du parlement tadjik le 19 décembre 2012 apporte toutefois de l’espoir à ces femmes, en assurant la protection des rescapées. Ce texte a été adopté après plus de 10 ans de lutte et de travail de plaidoyer avec la société civile, les ONG, le mouvement des femmes, l’ONU et les autres organisations internationales.
Au fil de ce processus, ONU Femmes a créé une plateforme pour établir des partenariats entre les acteurs étatiques pertinents et les ONG de femmes, afin de renforcer les actions de lobbying en vue de l’adoption de la Loi sur la violence domestique. Un consensus a été réalisé dans ce cadre par le biais d’auditions publiques et de réunions sur les différentes versions du projet de loi.
« Cette loi contribuera à réglementer les relations familiales et, surtout, à définir concrètement les mesures nécessaires pour prévenir la violence domestique » indique Nasrullo Makhmudov, membre du Parlement, un des auteurs du nouveau projet de loi. « Ce texte protège les droits de la famille et définit les moyens d’apporter une aide juridique, médicale et psychologique aux victimes de la violence domestique, tout en introduisant des mesures administratives en vue de punir les auteurs ».
En vertu du projet de loi approuvé, les épouses abusées ne seront plus les seules à pouvoir déposer une plainte officielle. Les agents chargés de l’application de la loi seront également en mesure d’identifier les cas de violence domestique sur la base des témoignages des témoins oculaires ou des autres parties. En outre, ceux qui ont perpétré les actes de violence, où même menacé de le faire après un divorce, peuvent être tenus pour responsables ou punis.
« Il ne fait pas de doute que l’un des principaux facteurs aggravant les ruptures familiales est la prévalence de la violence domestique » indique Makhmudov. Ce dernier précise que, selon les estimations, 4.400 familles ont éclaté en 2011 en raison de la violence domestique, un chiffre en augmentation rapide, qui est passé à 5.600 familles en 2012.
Autre avancée cruciale : le projet de loi contre la violence domestique s’appliquera également aux familles dont les mariages ne sont pas officiellement enregistrés. À l’heure actuelle, l’Article 1 du Code de la famille du Tadjikistan de 1998 spécifie que seuls les mariages enregistrés au bureau de l’état-civil sont reconnus par l’État. Une femme abusée qui a été mariée religieusement mais ne dispose pas de certificat de mariage civil peut actuellement être expulsée de son foyer – et de tels cas comptent pour un grand nombre de ceux portés à la connaissance des centres de crise et du Comité pour la Famille et les Affaires des femmes.[i]
Pour Humo, qui avait 38 ans lorsqu’elle a divorcé de son époux et l’a quitté avec ses trois enfants, cela a été difficile de trouver un travail, avec ses seules études secondaires. Elle avait été mariée juste après avoir terminé l’école et avait ensuite été accaparée par les tâches ménagères et les soins à son jeune enfant. Mais depuis l’enregistrement officiel de son mariage, elle était au moins partiellement protégée par les lois régulant le divorce, bien qu’elle ait dû obtenir un appui pour garantir ses droits.
« Sans l’appui de ma famille, qui m’a aidée à lutter pour mes droits d’obtention d’un lopin de terre et à obtenir une pension alimentaire de la part de mon mari, je n’aurais jamais été en mesure de faire face à mes problèmes » souligne-t-elle.
Le nouveau projet de loi assurera des droits – par exemple à la propriété, à la pension alimentaire et à l’héritage – à toutes les femmes, quelle que soit la manière dont leur mariage a été enregistré.
S’exprimant au nom des Nations Unies au Tadjikistan, le Coordonnateur résident des Nations Unies Alexander Zuev a salué la décision du Parlement tadjik d’adopter la loi sur la violence domestique, en tant qu’outil préventif clé. « Cela permettra de coordonner les initiatives déployées par les ministères, les organisations, les ONG, les organisations internationales et des droits de l’homme, et d’introduire une approche systématique à la recherche de solutions au problème de la violence domestique ».
Le projet de loi doit être approuvé par la Chambre haute et recevoir l’approbation officielle du Président en avril.
Aujourd’hui, Humo a une maison, dans laquelle elle vit avec sa fille, tandis que deux de ses fils ont migré en Russie pour le travail. « Je veux que les filles et les femmes connaissent leurs droits et fassent entendre leurs voix lorsque ceux-ci sont violés, en vue d’être protégées » souligne Humo. « J’espère que la nouvelle loi garantira la protection des femmes et de leurs droits, et dissuadera les hommes de traiter leurs femmes de manière aussi indigne. Nous aussi sommes des êtres humains, et nous méritons une vie meilleure ».
*Le nom de la femme décrite dans ce récit a été modifié pour protéger son identité.
[i]Selon la base de données de la Coalition des centres de crise et d’informations, en 2010-2011, 9 870 personnes ont fait appel aux 12 centres de crise (8 908 femmes et 962 hommes). Les abus psychologiques figurent au premier rang des violences déclarées par les femmes, suivies des violences économiques, physiques et sexuelles. Presqu’une femme sur quatre a en outre indiqué subir de multiples formes de violence.